La honte
« Tu t’es vu, quand t’as bu » ? Ce slogan, à lui tout seul, en dit déjà beaucoup et la honte qu’il génère chez la personne qui boit, est terriblement destructrice et ne fera en fait qu’entretenir le mal.
Le plus souvent, intimement conscient du mal qu’il se fait et qu’il fait autour de lui, sans pour autant l’avouer et l’admettre vraiment, le malade alcoolique continue obstinément à boire. Ce comportement est, souvent et à tort, perçu dans notre société comme un vice, une tare et renvoyé brutalement comme tel « à la tête » du buveur.
Tiraillé entre sa conscience, le regard d’autrui et son incapacité à réagir, le malade développera d’abord une certaine forme de pudeur qui s'apparente à du mensonge. Il mettra en place toute une série de stratagèmes, plus ingénieux et hypocrites les uns que les autres, afin de (se) cacher sa dépendance et souvent sa propre détresse. Ces mécanismes procèdent de ce que l'on nomme le "Déni".
Pourtant, personne n’est dupe, à commencer par lui-même. Exposé à la dérision de la part de son entourage, aux reproches constants de dilapider l’argent du ménage, à l’étiquette d’ « alcoolique » oh combien péjorative dans notre société, surtout à l’égard des femmes, voire au mépris, à peine déguisé, de certains professionnels parfois mal informés, sa pudeur se transforme bien vite en perte de l’estime de soi, en honte.
Ces sentiments auront pour effet d’augmenter son addiction qui elle-même aggravera encore sa culpabilité, et sa honte. Et voilà bien l’engrenage infernal mis en marche : Je bois, donc j’ai honte… J’ai honte, donc je bois…
Ce cercle vicieux est très justement illustré au chapitre XII de l'œuvre, la plus connue, d'Antoine de Saint-Exupéry : « Le Petit Prince ». Cet extrait est reproduit ci-dessous.
Le Petit Prince, Chapitre XII
par Antoine de Saint-Exupéry (1900-1944).
La planète suivante était habitée par un buveur. Cette visite fut très courte, mais elle plongea le petit prince dans une grande mélancolie :
Que fais-tu là ? dit-il au buveur, qu’il trouva installé en silence devant une collection de bouteilles vides et une collection de bouteilles pleines.
Et le petit prince s’en fut, perplexe.
« Les grandes personnes sont décidément très très bizarres », se disait-il en lui-même durant le voyage.
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